10 réflexions sur le temps qui passe
Des fesses de Demi Moore au Buxton Index, 10 manières de mettre le temps en perspective #004
Cinquant.e.s vous propose le point de vue d’un cinquantenaire heureux sur l’évolution de la société, les modes de vie et plein d’autres choses.
Hier soir j’ai vu 💉 THE SUBSTANCE 🩸 au cinéma et ce matin j’essaie de sortir des torrents d’hémoglobine et autres bruits d’organes chelous pour réfléchir au vrai sujet du film : la perception du temps qui passe. Je ne parle pas de l’impact respectif des années sur les fesses de Demi Moore et Margaret Qualley mais d’une approche plus objective de ce phénomène. Notre perception du temps est souvent construite par d’autres : la religion, l’école, l’entreprise, et de plus en plus : le marketing. Alors que nous devrions “cueillir le jour présent sans nous soucier du lendemain” (carpe diem), nos vies quotidiennes semblent régies par d’innombrables minuteurs dont le tictac assourdissant nous empêche de profiter de l’instant présent.
Minuteur “galet” de Roger Tallon. Source : Etsy
Le temps qui passe est aussi l’un des thèmes favoris de mon blogueur préféré : le new-yorkais Tim Urban et son formidable Wait but Why. Bref, comme souvent, la conjonction d’une vieille lubie et d’un évènement récent m’a donné le thème d’un nouveau billet. Je l’ai rédigé sous forme de listicle : 10 réflexions sur le temps qui passe.
1. Le temps passe vite, surtout à la fin
Pas besoin d’être Cédric Villani pour faire ce calcul très simple :
Entre l’anniversaire des 6 ans de votre petite Emma et celui de ses 5 ans, 1 an est passé. Cette année supplémentaire représente 20% des années qu’elle a vécues jusque là. Si vous avez 51 ans, cette même année représente 2% des années que vous avez vécues jusque là.
Le temps passe 10 fois plus vite pour vous que pour elle. Élémentaire mon cher Watson.
2. Temps historique et temps biologique
La Terre serait âgée d’environ 4,5 milliards d’années. La “vie” y serait apparue il y a 3,6 milliards d’années. Les premiers mammifères découverts ont 200 millions d’années et les humains à peine 200 000 ans. Ce n’est qu’en 3500 avant Jésus-Christ que l’on trouve trace des premiers écrits de nos congénères. Il fallut attendre encore 5000 ans pour que naissent Galilée, Shakespeare et Isaac Newton. Et ce n’est que 300 ans après la mort de Galilée que les femmes eurent le droit de vote en France.
Si l’histoire de la Terre avait duré 24 heures, les humains modernes seraient présents depuis seulement…1 seconde. Nos deux siècles après la naissance du Christ représentent à peine 14 minutes de cette histoire humaine.
3. Les chiffres ronds sont ceux qui marquent
Nous sommes obsédés par les chiffres ronds. L’an 2000, les siècles, les “années” 80,… L’âge n’y échappe pas, dont les dizaines rythment la vie et segmentent les “générations” : vingtenaires, quarantenaires, septuagénaires,…Les amis qui atteignent les quarante ans sont souvent surpris de s’entendre dire “ça fait 20 ans que (je vis ici, j’ai fini mes études, je fais du piano)”. Dans une petite bande dessinée le réalisateur Michel Gondry expliquait que pour lui, le passage à 45 ans marque l’arrivée de la décennie suivante comme les afficheurs à rouleaux du flipper laissent apparaître la dizaine suivante. On ne fait plus vraiment partie des quarantenaires, on devient un pré-cinquantenaire.
D’ailleurs, est-il plus agréable d’être un vieux quarantenaire de 49 ans ou une jeune cinquantenaire de 51 ans ? Je vous laisse juge.
4. De quel siècle êtes-vous ?
La particularité des cinquantenaires est d’avoir à peu près un pied dans chaque siècle, ayant passé la moitié de leur vie dans le 20ème et le 21ème siècles. J’utilise pourtant l’expression “très vingtième siècle” pour qualifier (ou plutôt, disqualifier) une idée, une technologie, une entreprise. Mais ce ne sont pas les individus que je vise.
Contrairement aux idées reçues dans les DRH, les organisations changent beaucoup moins vite que les individus. À cheval sur deux siècles, les cinquantenaires savent peut-être mieux que personne déceler les blocages anciens à lever et les opportunités nouvelles à saisir.
5. Regarder en arrière et devant soi
Quand je fais des conférences sur l’évolution future d’un secteur, j’explique à mes interlocuteurs que les jeunes qu’ils embaucheront en 2030 sont en terminale aujourd’hui. Je leur demande également d’imaginer ce qu’ils faisaient le même jour il y a 6 ans. Cela rend beaucoup plus tangible, concrète et sensible leur vision des changements à l’oeuvre. Nous avons notre propre vécu, mais également celui de notre famille ou proches. Je me souviens très bien des récits de la débâcle de 1940 que me racontaient ma grand-mère. Ce n’est plus de l’histoire, c’est un héritage.
Tim Urban nous rappelait d’ailleurs récemment que nous sommes plus près de l’année 2100 que du Jour J du débarquement en Normandie. Dis comme cela, le prochain siècle semble beaucoup moins loin non ?
6. L’espérance de vie ou le “reste à vivre”
Je me demande souvent ce qu’il se passerait si nous étions capables de connaître la date de notre propre mort. Les gens deviendraient-ils fous d’angoisse ou au contraire retrouveraient-ils un lien plus intime avec la nature, les saisons et leur rythme circadien ? En attendant la triste statistique d’espérance de vie - “durée de vie moyenne d'une génération fictive soumise aux conditions de mortalité par âge de l'année considérée” (INSEE) - nous sert de grand sablier. En 2023 par exemple le “reste à vivre” pour une femme était de 85,7 ans à la naissance mais de 23,6 ans à 65 ans.
Ces moyennes glissantes sont utiles pour calculer des primes d’assurance ou justifier des réformes de retraite, mais nous servent-elles à autre chose qu’à entretenir nos propres névroses ?
7. Transformer le reste à vivre en reste à profiter
Cette année j’ai vu mon deuxième enfant (sur trois) quitter la maison pour faire ses études. J’avoue : cela m’a mis un gros coup au moral et Tim Urban n’y est pas pour rien. En effet le blogueur a traduit le temps passé avec ses enfants (ou ses parents si vous sortez de cette période) en nombre de journées et ça change tout. En gros, nous passons environ 7000 jours avec un enfant de ses 0 à 20 ans. 7000 petits-déjeuners, dîners, une quinzaine de vacances d’été, Noëls, des dizaines de sorties de classe, d’anniversaires,…Et puis, lorsqu’ils partent, l’échelle change du tout au tout. Mettons que vous vous entendiez particulièrement bien et que vous ne viviez pas trop éloignés, combien de journées passerez-vous ensembles chaque année : 10 ? 20 ? Si vous avez 50 ans, cela signifie “seulement” 350 à 700 journées partagées d’ici la fin de votre propre vie. Profitez de ces moments !
8. On est pas né dans le même pays
Lorsque je suis né (1970) la France comptait 51 millions d’habitants. Elle en compte plus de 68 millions. L’équivalent de la population entière de l’Ile-de-France est née ou s’est installée depuis.
En 1970 naissaient 848 000 enfants. En 2023 ce nombre s’élevait à 678 000. 20% d’enfants en moins pour 33% d’habitants en plus. Les moins de 20 ans représentaient un tiers de la population. Aujourd’hui c’est moins d’un quart. Un autre chiffre est plus frappant : en 1970 il y avait 7 fois plus de personnes âgées de moins de 20 ans que de personnes âgées de plus de 75 ans. 7 fois. Aujourd’hui le ratio est de 1,8 !
Je suis né dans un pays de jeunes. Les bébés de 2040 naîtront dans un pays de vieux.
9. Nokia 3310 ou Playstation VR ?
Dans mon activité de conseil j’étudie beaucoup les freins au changement : stratégiques, culturels et bien sûr psychologiques. Parmi ces derniers, l’âge auquel on “accueille” une technologie est un facteur essentiel. Grosso modo une technologie arrivée dans vos mains avant l’âge de 15 ans pourra être considérée comme “native” pour vous. Jusqu’à cet âge l’apprentissage est naturel, la coopération au top et la peur de rater très faible. Ça s’inverse ensuite : l’aversion au changement des utilisateurs est l’un des freins les plus puissants à l’innovation.
Selon votre âge il est possible d’évaluer votre ouverture “naturelle” à des technologies comme les objets nomades, les écrans tactiles, le jeu en ligne, la réalité virtuelle, la commande vocale,…Tout dépend de la génération de jeux et de terminaux que vous utilisiez à l’époque.
10. Le temps des organisations
Nous écrivions il y a peu de temps dans l’autre newsletter :
«L’indice Buxton d’une entité est défini par la longueur de la période par laquelle l’entité réalise ses propres plans. Pour un commerce de proximité l’indice pourrait être de 0,5 (six mois), là où il serait de 4 (années) pour un élu, un peu plus pour une entreprise, beaucoup moins pour des managers qui rendent des comptes chaque trimestre,…En revanche une université par exemple existe depuis des décennies et sera encore là dans des décennies. L’indice Buxton peut aider à expliquer l’échec invariable entre entités ayant des indices temporels différents comme par exemple un laboratoire de recherche et une industrie, ou une startup et une collectivité”.
Les individus ne sont pas les seuls à avoir une perception subjective du temps : les organisations également. Cette perception est profondément ancrée dans leur culture. Gare à celles et ceux qui n’en tiendraient pas compte. Ils trouveront le temps long et y feront sans doute long feu.
J’espère que ce florilège de réflexions vous a intéressé et que vous n’avez pas perdu votre temps. N’hésitez pas à nous faire part de vos propres réflexions. À bientôt.
Ils nous inspirent
Putting time in perspective - Wait but Why
Your life in weeks - Wait but Why
Bulletin de statistiques démographiques de 1970 - La France a 51 millions d’habitants
La musique du daron
Qui mieux que J Dilla a réussi à sortir la musique de la tyrannie du temps ? Nous sommes au début des années 90 et le hip-hop cherche un nouveau souffle face à l’essor des musiques électroniques. Un jeune producteur va saisir l’opportunité offerte par les nouveaux samplers pour révolutionner la manière d’échantillonner des sons et, surtout, de déconstruire les rythmiques habituellement utilisées dans ce genre musical. C’est le “Dilla Time”, un groove égal à aucun autre insufflé par J Dilla dans les créations de d’Angelo, The Roots, Common ou Eryka Badu. Cette influence dure encore aujourd’hui bien après sa mort prématurée. L’occasion de découvrir aussi cette chaîne qui régale les oreilles et le cerveau.
J'adore ! Je fais circuler ! Excellente matière pour un diner entre amis !
Excellent billet, merci. J'aime beaucoup ce format d'idées brutes illustrées par un exemple.
Sans tout l'enrobage plus ou moins LLM-powered que l'on trouve ailleurs.